Derrière l’affaire BNP Paribas….

Derrière l’affaire BNP Paribas….

L’éditorial de Patrick Le Hyaric dans l’Humanité Dimanche.
« La condamnation par la justice nord-américaine de l’une des plus importantes banques françaises mérite qu’on s’y attarde un peu plus. Elle nous renseigne sur les volontés hégémoniques persistantes dans les classes dirigeantes nord-américaines. »
Elle fait suite à leurs multiples dispositifs protectionnistes, quand leurs sociétés multinationales multiplient les rachats d’entreprises européennes, et à l’espionnage généralisé auquel se livrent leurs services secrets.
Mais elle nous renseigne aussi sur la manière dont les dirigeants et les institutions européennes et françaises courbent l’échine face à l’imperium.
Il ne s’agit pas ici de défendre la stratégie bancaire et financière de BNP Paribas, qui, dans l’actuel système capitaliste financier, favorise l’évasion fiscale ou alimente les paradis fiscaux. Il est question d’alerter sur une stratégie multiforme et très agressive des dirigeants des États-Unis – policière, militaire, financière, monétaire – au moment où se discutent dans le plus grand secret deux traités internationaux qui concernent nos vies quotidiennes : le projet de traité transatlantique et le traité sur les services (baptisé TISA) incluant notamment les services financiers.

Parallèlement, les États-Unis négocient un troisième traité, dit traité transpacifique, avec les pays asiatiques, excluant la Chine.

Alors que les USA connaissent depuis des années la prétendue violation de leur embargo par BNP Paribas, ce n’est que maintenant qu’ils condamnent la banque à payer 6,5 milliards d’euros, soit l’équivalent de ses bénéfices de l’année, et lui interdisent de commercer en dollars pour les échanges de gaz et de pétrole.

Elle est accusée d’avoir violé l’embargo qu’a décrété l’administration nord-américaine sur l’Iran, la Birmanie, Cuba et le Soudan. Notons que l’embargo contre Cuba a été plusieurs fois condamné par l’Assemblée générale des Nations unies. D’autres banques européennes, comme Commerzbank, Deutsche Bank, Unicredit, Crédit agricole, Standard Chartered, Société générale, pourraient tomber sous le coup de condamnations similaires.

Ainsi, une banque française ou européenne, qui, selon le droit français ou européen, peut sans entraves participer à des échanges commerciaux avec n’importe quel pays, peut être désormais poursuivie et condamnée par l’administration et la justice nord-américaine au motif qu’elle contrevient aux règles édictées par la politique extérieure des États-Unis et qu’elle utilise la monnaie nord-américaine pour les échanges.

Alors que les États-Unis font tout pour que le dollar soit la « monnaie mondiale » pour les transactions, contrairement au droit international, ils veulent faire appliquer leurs embargos par tous les pays. Peut-être considèrent-ils que les territoires où circule le dollar leur appartiennent ? Ils veulent que leur souveraineté monétaire s’étende à chaque parcelle et microparcelle de la planète. Autrement dit, les classes dirigeantes nord-américaines souhaitent que leurs règles deviennent les lois internationales au détriment de celles de l’ONU et ôter toute souveraineté monétaire à quelque pays ou groupe de pays que ce soit.

DANS UNE STRATÉGIE AGRESSIVE, LES ÉTATSUNIS VEULENT FAIRE DE LEURS RÈGLES LES LOIS INTERNATIONALES, ÔTER TOUTE SOUVERAINETÉ MONÉTAIRE À QUELQUE PAYS QUE CE SOIT.

Le principe de libre circulation des capitaux, ce dogme intangible des acteurs du capitalisme, ne vaudrait donc que pour ceux qui le professent. Quelle contradiction !
Ceci s’inscrit dans la nouvelle stratégie agressive des États-Unis vis-à-vis de l’Union européenne après le déclenchement de la crise financière née chez eux à l’été 2008. Ils font tout, au coeur de cette crise qui n’en finit pas, pour conserver et renforcer la suprématie du dollar et pour reprendre en main le système financier international.

D’ailleurs le traité transatlantique aurait pour conséquence d’affaiblir tout projet de construction européenne, et pourrait conduire à l’extinction de la monnaie européenne (*).

Le dollar est utilisé de plus en plus comme une monnaie commune mondiale. Les États-Unis s’en servent comme un instrument de politique étrangère, une arme de guerre économique et un outil de remodelage géopolitique au service de leurs intérêts au moment même où ils se trouvent de plus en plus en difficulté face aux pays dits émergents et à leurs multiples échecs guerriers.

Dans le cas de Cuba ou du Soudan, il est certain que ces pays auraient été asphyxiés si la BNP Paribas n’avait pas été l’un des rouages des échanges, en lien souvent d’ailleurs avec des entreprises chinoises.

On est abasourdi par le silence du gouvernement français et des autorités européennes.
Rien n’est dit, rien n’est fait pour que soient respectées l’indépendance nationale et la souveraineté populaire. Cette affaire devrait conduire à faire grandir parmi les populations la nécessité d’une monnaie commune mondiale d’échange, pour une autre mondialisation, et le besoin de transformer profondément les institutions financières internationales et celles du commerce mondial. Elle devrait servir à une réflexion nouvelle sur le rôle des banques au service d’un monde de progrès social et humain.
Ceci passe urgemment par des législations européennes et mondiales contre la corruption financière, la fraude et l’évasion fiscale, avec la fermeture de tous les paradis fiscaux.
Beaucoup mérite donc d’être fait pour informer sur les enjeux cruciaux que dissimule l’affaire BNP Paribas, tout comme sur la nature et les conséquences du traité transatlantique et celui sur les services. L’élargissement de l’action, pour la solidarisation citoyenne européenne et mondiale en faveur d’un autre monde, est à ce prix.

Michel Barrier